Communiqué de Presse

Les « rendez-vous santé » pour les demandeurs d’asile : l’OFII en situation de conflit d’intérêt et de violation de la déontologie médicale

Résumé :

La proposition d’un bilan de santé librement consenti, aussi rapidement que possible après l’entrée en France, est nécessaire et doit être développée. Quel que soit le nom qu’on lui donne, ce nécessaire « Rendez-vous santé » doit impérativement être réalisé par un service de prévention en santé présentant des garanties en terme de consentement libre et éclairé. Parce qu’il exerce des missions de « contrôle médical » dans le cadre des « visites médicales obligatoires » pour les étrangers admis au long séjour, l’Ofii ne peut donc pas procéder à des actions de soins et de prévention, le cumul de telles missions d’une part, et de contrôle médical d’autre part, étant strictement prohibé par l’article 100 du Code de déontologie médicale. A rebours des recommandations en matière de prévention en santé, ce « rendez-vous santé », s’il est pratiqué à l’Ofii ou dans tout autre lieu de contrôle médical, impose des dépistages prétendument consentis et empêche de recueillir un consentement libre et éclairé des patients.

A l’occasion du Comité Interministériel du 6 novembre 2019 [1] le gouvernement a annoncé sa volonté d’expérimenter un « rendez-vous santé » dans les quatre mois suivant l’arrivée en France des étrangers « primo-arrivants ». Objectif annoncé : « adapter les soins délivrés aux vulnérabilités liées au parcours de migration (psycho-trauma, maladies infectieuses) ». Il s’agissait de structurer « l’organisation d’un rendez-vous santé en ville (appui aux professionnels de santé, accès à des interprètes, rémunération de la consultation adaptée au temps passé avec ces patients particulièrement précaires). …  ».

Nos organisations soutiennent de longue date, les projets visant à proposer aux migrants en situation précaire un accès effectif aux soins incluant la proposition d’un bilan de santé librement consenti aussi rapidement que possible après l’entrée en France. En ce sens l’instruction interministérielle santésocial du 8 juin 2018 [2] reste une référence particulièrement utile.

Mais la mise en œuvre du projet gouvernemental de 2019 pose problème, car avec le « plan vulnérabilité » de mai 2021 [3] ,c’est le Ministère de l’Intérieur qui s’est retrouvé en charge de concrétiser l’action, à la place des autorités de santé. Le ministère de l’Intérieur, en lançant l’expérimentation pour une partie du public cible (les demandeurs d’asile et certains titulaires de visas d’installation en France), a fait le choix de confier le « rendez-vous santé » à son établissement public en charge notamment de l’accueil des nouveaux arrivants et des demandeurs d’asile, l’Ofii [4]

Or choisir l’Ofii pour cette mission est contraire au principe du libre consentement en matière de soins et de prévention :
Comment un étranger nouvellement arrivé en France pourrait-il librement choisir de procéder à tel ou tel examen de santé (dont des dépistages du VIH et des hépatites) lorsque la « proposition » est formulée au sein même de l’organisme, sous tutelle du ministère de l’Intérieur, en charge de plusieurs missions de contrôles obligatoires conditionnant le droit au séjour légal en France ?

Le service médical de l’Ofii est en effet déjà chargé par la loi de procéder au contrôle sanitaire des étrangers légalement admis sur le territoire. A l’issue de cet examen obligatoire, le certificat médical délivré par l’Ofii indique si l’étranger remplit ou ne remplit pas les conditions médicales autorisant son séjour en France [5].

Ce cumul de fonctions au sein de l’Ofii, d’une part de contrôle médical (visite médicale obligatoire) et d’autre part de prévention (« rendez-vous santé » de dépistage et d’orientation) est incompatible avec les principes de libre adhésion du patient aux propositions de prévention et de soins [6].

Ce cumul est, en ce sens, explicitement prohibé par la déontologie médicale, l’article 100 du Code de déontologie médicale (R4127-100 du Code de la santé publique) prévoyant qu’ « un médecin exerçant la médecine de contrôle ne peut être à la fois médecin de prévention ou, sauf urgence, médecin traitant d’une même personne. »

Le Haut conseil pour la santé publique, dans son avis du 6 mai 2015 relatif aux recommandations concernant la visite médicale des étrangers primo-arrivants en provenance de pays tiers, confirme : « qu’il existe un obstacle éthique et déontologique à ce que ces deux fonctions [contrôle et prévention] soient effectuées par une même structure.  »

De surcroit, le « rendez-vous santé » au sein du service médical de l’Ofii pose à ce jour les problèmes pratiques suivants :

  • l’annonce des résultats d’un dépistage (TROD notamment [7] ) se fait à ce jour sans garantie d’interprétariat, incluant les cas d’annonce d’une découverte de maladie grave ;
  • la prise en soins après l’annonce de la découverte d’une maladie grave est limitée à la simple indication des lieux de soins éventuels, sans assurance de la solvabilité de la personne [qui aide à l’ouverture des droits ?], et sans aucun suivi [qui s’assure a posteriori du succès de l’orientation ?] à rebours des préconisations de l’instruction sur le parcours santé des primo-arrivants ;
  • Le stockage des données médicales par l’Ofii, établissement public sous tutelle du Ministère de l’Intérieur, est source de méfiance légitime des usagers sur la robustesse du secret médical.

Afin de respecter l’objectif annoncé que le « rendez-vous santé » puisse « apporter une réponse aux difficultés spécifiques rencontrées par ce public [demandeurs d’asile] en matière d’accès aux soins (méconnaissance du système de soins, maîtrise limitée de la langue) », nos organisations recommandent les mesures suivantes :

  • généraliser la proposition d’un bilan de santé adapté librement consenti dans les premiers mois de présence en France des nouveaux arrivants. Pour les demandeurs d’asile, les SPADA ou l’antenne Ofii du GUDA pourraient délivrer une information systématisée et adaptée avec interprètes professionnels, en sus de l’éventuel examen de vulnérabilité spécifique aux demandeurs d’asile ;
  • alerter sur le fait que le « rendez-vous santé » à l’Ofii n’est pas un « moindre mal » permettant le dépistage nécessaire de maladies graves, mais un effritement des garanties de libre consentement qui entrave la dynamique nécessaire pour la promotion de la santé des usager.e.s et détériore le fonctionnement d’ensemble du système de santé.
  • assurer une orientation des personnes volontaires pour un bilan de santé vers le système de santé de droit commun, seul à même d’assurer les suites médicalement nécessaires en cas de dépistage d’une maladie grave ;
  • séparer visiblement, pour les usagers, les instances de contrôle sanitaire susceptibles d’avoir un retentissement sur leur situation administrative, des lieux de prévention, soins et dépistages centrés uniquement sur la préservation de la meilleure santé possible des patients ;
  • pour les demandeurs d’asile, expliciter la différence entre les objectifs de détection de la « vulnérabilité médicale » dans le cadre de la procédure d’asile [8], d’avec les objectifs de prévention et de soins de toute personne quel que soit son statut administratif ;
  • renforcer l’information les étrangers nouvellement arrivés sur le fonctionnement du système de santé français, notamment à l’aide d’interprètes professionnels et de documents adaptés ;
  • pour ce faire , permettre une ouverture sans délai des droits à une protection maladie, à rebours du délai nouvellement imposé par décret en 2019 aux demandeurs d’asile [9], délai d’ailleurs immédiatement abrogé au profit des Ukrainiens bénéficiaires de la Protection temporaire.

Nos organisations demandent aux autorités de santé de veiller au respect de la déontologie médicale, rien dans la situation des ressortissants étrangers ne justifiant qu’il y soit dérogé.


L’Odse est constitué des organisations suivantes :
ACT UP Paris, AFVS (Association des familles victimes du saturnisme), AIDES, ARCAT, LA CASE DE SANTÉ (Centre de santé communautaire - Toulouse), CATRED (Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits), CENTRE PRIMO LEVI, CIMADE, COMEDE (Comité pour la santé des exilé.e.s), CoMeGAS, CRÉTEIL-SOLIDARITÉ, DOM’ASILE (Domiciliation et accompagnement des personnes exilées), DROITS D’URGENCE, FTCR (Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives), GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), la LIGUE DES DROITS DE L’HOMME, MÉDECINS DU MONDE, MÉDECINS SANS FRONTIERES, MIGRATIONS SANTE ALSACE, le MOUVEMENT FRANÇAIS POUR LE PLANNING FAMILIAL, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), RÉSEAU LOUIS GUILLOUX, SIDACTION, SIDA INFO SERVICE, réseau SOLIPAM, SOLIDARITÉ SIDA, SOS HÉPATITES.

Document associé

rvs_ofii_argumentaire_odse_2013_10_12.pdf

16 octobre 2023 | PDF - 285.8 kio

Notes

[1[06- Adapter l’aide médicale d’État (AME) et les conditions d’accès des demandeurs d’asile à la protection universelle maladie (PUMa) pour limiter les abus] […] Assurer un accès effectif aux soins pour les personnes migrantes en situation de vulnérabilité : La structuration d’un parcours de santé pour les « primo-arrivants » dans chaque région permettra d’adapter les soins délivrés aux vulnérabilités liées au parcours de migration (psycho-trauma, maladies infectieuses). Ce parcours doit notamment comporter un « rendez-vous santé » dans les quatre mois suivant l’arrivée en France. Une expérimentation sera engagée à Rennes pour structurer l’organisation d’un rendez-vous santé en ville (appui aux professionnels de santé, accès à des interprètes, rémunération de la consultation adaptée au temps passé avec ces patients particulièrement précaires). Les moyens alloués aux permanences d’accès aux soins de santé (PASS), qui sont souvent le point d’entrée des personnes migrantes, sont également renforcés. Enfin, la création de centres de santé prévue par la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté permettra également de favoriser l’accès des personnes migrantes aux soins

[2Instruction N°DGS/SP1/DGOS/SDR4/DSS/SD2/DGCS/2018/143 du 8 juin 2018 relative à la mise en place du parcours de santé des migrants primo-arrivants

[3[Action n°1 - mettre en place « un rendez-vous santé » dès l’enregistrement de la demande d’asile] Pour permettre le repérage précoce des vulnérabilités liées à la santé physique et mentale des demandeurs d’asile et les orienter vers une prise en charge adaptée, une visite médicale doit pouvoir être systématiquement proposée aux demandeurs d’asile volontaires, dès l’enregistrement de leur demande en guichet unique.
Complémentaire à l’entretien de vulnérabilité conduit par l’OFII en guichet unique, ce rendez-vous santé, pris en charge par les services médicaux de l’OFII, permettra d’apporter une réponse aux difficultés spécifiques rencontrées par ce public en matière d’accès aux soins (méconnaissance du système de soins, maîtrise limitée de la langue). Répondant aux objectifs fixés par les recommandations du Haut conseil de la santé publique (HCSP) de 2015 (information, prévention, dépistage, orientation et insertion dans le système de soins de droit commun), il reposera sur un socle commun comprenant un bilan clinique (incluant un repérage des troubles de santé mentale), le dépistage de la tuberculose, du VIH, des hépatites B et C complété d’un socle individualisé en fonction des facteurs de risque identifiés. Un rattrapage des vaccinations sera fait chez l’adulte.
L’information et l’orientation (éventuellement assortie d‘une prise de rendez-vous) vers les structures sanitaires locales de prise en charge (permanences d’accès aux soins de santé / centres de vaccinations ou dépistage gratuits locaux, psychiatrie publique) seront également prévues.
La mise en place de ce rendez-vous santé dans les services médicaux des directions territoriales de l’OFII sera expérimentée pendant 6 mois dans trois directions territoriales de l’OFII dès la fin du premier semestre 2021. Lors du passage en GUDA, l’auditeur de l’OFII proposera le rendez-vous santé à tous les demandeurs d’asile volontaires. Un bilan de cette expérimentation sera fait par le service médical de l’OFII

[4Ofii Rapport d’activité 2021 : « L’EXPÉRIMENTATION DU RENDEZ-VOUS SANTÉ : Le service médical a mis en place un Rendez-Vous Santé (RVS) pour les primo-arrivants demandeurs d’asile ou certains signataires du CIR depuis le 1er juin 2021 dans trois directions territoriales : Marseille, Toulouse, Strasbourg. Il s’agit d’un projet pilote, proposant dès la demande d’asile un bilan de santé avec dépistage de maladies infectieuses et repérage de troubles de la santé mentale ou d’autres vulnérabilités, rappel vaccinal et orientation précoce vers une prise en charge des problèmes de santé. ».

[5On notera que l’Arrêté ministériel du 11 janvier 2006 relatif à la visite médicale des étrangers autorisés à séjourner en France, qui mentionne un examen médical « de contrôle et de prévention » organisé par l’Ofii dans le cadre du contrôle médical [prévu à l’article L. 341-9 du code du travail], place ipso facto les médecins de l’Ofii en situation de conflit d’intérêt en violation de l’article 100 du Code de déontologie médicale (R4127-100 du Code de la santé publique).
Rapport activité ofii 2021 : 3.2.2 LA VISITE MÉDICALE. La visite médicale de prévention constitue une étape obligatoire pour les étrangers admis à séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois. Plus qu’un simple examen de santé, elle permet aux personnes concernées de recevoir des informations et d’obtenir, si nécessaire, une orientation pour une prise en charge médicale la plus précoce possible. Toutes les informations recueillies au cours de cette visite sont confidentielles et couvertes par le secret médical..
Ce cumul de fonctions au sein de l’Ofii, d’une part de contrôle médical (visite médicale obligatoire) et d’autre part de prévention (« rendez-vous santé » de dépistage et d’orientation) est incompatible avec les principes de libre adhésion du patient aux propositions de prévention et de soins Pour un développement sur les aspects déontologiques du contrôle médical des étrangers, voir notamment Arnaud Veïsse, La déontologie médicale à l’épreuve du contrôle sanitaire, Plein-droit n°134 octobre 2022 (la revue du Gisti)

[6Pour un développement sur les aspects déontologiques du contrôle médical des étrangers, voir notamment Arnaud Veïsse, La déontologie médicale à l’épreuve du contrôle sanitaire, Plein-droit n°134 octobre 2022 (la revue du Gisti).

[7Test rapide à orientation diagnostique

[8Articles L522-1 et L531-10 du Ceseda

[9Ce qui nécessiterait d’abroger le Décret n° 2019-1531 du 30 décembre 2019 relatif à la condition de résidence applicable aux demandeurs d’asile pour la prise en charge de leurs frais de santé

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