PUMA : la mise à l’écart des étrangers
Tribune sur le site de mediapart de Jean Michel Belorgey et Christian Bruschi
L’ancien juge à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), Jean Michel Belorgey, et le juriste Christian Bruschi considèrent que le texte de la PUMA (Protection Universelle Maladie), censé remplacé la CMU, devrait être « tout d’abord différé, ensuite mis en conformité avec une conception de la protection sociale des personnes étrangères qui ne sacrifie pas des droits sociaux fondamentaux à une volonté forcenée de lutter, y compris par des procédés détournés, contre une "menace migratoire"... »
La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 a, au prix de la modification par son article 59 de plus d’une centaines d’articles du Code de la sécurité sociale et d’autres codes, mis en place en lieu et place de la CMU, qui a vécu, un nouveau système, la Protection Universelle Maladie (PUMA), tendant, en principe, à garantir à toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière un droit à la prise en charge de ses frais de santé à titre personnel et de manière continue tout au long de la vie, tout en réduisant au strict nécessaire les démarches administratives. Les informations d’origine gouvernementales ou diffusées par l’Assurance maladie insistent sur les satisfactions que les usagers devraient retirer de cette réforme. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2015/723 du 17 décembre 2015 n’a trouvé aucun motif d’accueillir les contestations formées par un certain nombre de parlementaires sur la constitutionnalité d’une partie de cet article 59.
L’essentiel des dispositions contenues dans un projet de décret « relatif au contrôle des personnes bénéficiant des prestations de sécurité sociale », qu’il est envisagé de prendre pour l’application du même article, font en revanche apparaitre qu’il est dans les intentions de ses auteurs de mettre à profit la réforme pour organiser la remise en cause des garanties offertes à différentes catégories d’étrangers par la CMU. Ce décret procède en effet à l’introduction dans le Code de la sécurité sociale de plusieurs articles énumérant les personnes pouvant bénéficier de prestations de sécurité sociale à un titre ou à un autre (droits "universels", autres assurances sociales et accidents du travail) et donnant aux organismes en charge de la gestion des régimes obligatoires de sécurité sociale de considérables pouvoirs de vérification du respect des exigences formulées, contrôles aux termes desquels, s’il se révèle qu’il n’y est pas satisfait, les droits sont fermés, le cas échéant à titre rétroactif, les prestations réputées indûment servies devant en outre être remboursées. Or, pour bénéficier des prestations, il faut, si on n’est de nationalité française, ressortissant d’un pays de l’Union européenne ou apparenté, membre de la famille d’un tel ressortissant qui exerce une activité professionnelle en France, disposer d’un des documents en cours de validité suivants : carte de résident, certificat de résidence, carte de séjour pluriannuelle ou temporaire, visa de long séjour, autorisation provisoire de séjour, récépissé de demande de délivrance ou de renouvellement d’un de ces documents, attestation de demande d’asile.
Le dispositif retenu a, à juste titre, profondément alarmé l’ensemble des associations s’intéressant à la situation des étrangers, notamment en matière de santé : Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), FNARS, Secours catholique, CIMADE, COMEDE, Médecins du monde, Association Henri Pezerat. Celles-ci ont, par des communiqués répétés, et à l’occasion de nombreux échanges avec les services compétents, le ministère de la santé et des finances, fait valoir :
- que la non prise en compte parmi les documents requis de ceux, très nombreux, couramment en usage aux guichets (convocations préfecture, documents hors normes) faisait obstacle à l’entrée dans le droit ;
- que la limitation de la durée d’ouverture de ce droit à la durée du document produit conduirait, par le jeu combiné de la brièveté de la durée de validité de ces documents et de la longueur de la durée de traitement des dossiers par les caisses, à d’innombrables ruptures de droit ;
- que la fermeture brutale (deux jours après la notification) et surtout rétroactive des droits, avec exigence de remboursement d’indus, était une disposition d’autant plus léonine qu’elle était assortie d’une autre proscrivant la réouverture des droits à des personnes en fin de compte ou à nouveau pourvues des documents requis en l’absence de remboursement préalable des indus ;
- que la notion de stabilité de résidence utilisée concurremment avec celle de régularité de séjour pour fixer la date de clôture des droits était entachée d’une grave ambigüité, semblant ouvrir la voie à la mise en place d’un délai d’attente avant la réouverture des droits, après chaque absence de France, par exemple pour des congés, absences pourtant autorisée par la jurisprudence constante des cours et tribunaux ;
- que le traitement, par le jeu d’un mécanisme de renvoi, des droits en matière d’accidents du travail, à l’analogue des droits en matière d’assurance maladie, était radicalement contraire au droit de l’Union européenne et à celui de l’Organisation internationale du travail (plusieurs décisions de cette organisation l’ont fortement marqué).
Des propositions d’aménagement des textes ont été avancées par les organisations intéressées, notamment l’organisation d’une ouverture de droits minimum d’un an, même en cas de titre de séjour d’une durée inférieure. Elles n’ont, sauf quelques-unes et pas celle-là, pas reçu l’aval des interlocuteurs approchés.
De manière à éviter un considérable recul du sort fait aux étrangers précaires en matière de santé, la multiplication de situations de détresse sanitaire, la mise en cause et la condamnation de la France par les organismes chargés du respect des engagements internationaux, par une ou plusieurs juridictions internationales, il conviendrait que le texte en projet soit tout d’abord différé, ensuite mis en conformité avec une conception de la protection sociale des personnes étrangères qui ne sacrifie pas des droits sociaux fondamentaux à une volonté forcenée de lutter, y compris par des procédés détournés, contre une « menace migratoire » qu’on ne conjurera pas ainsi, dont on se bornera au contraire, si on s’obstine, à aggraver les effets humains et sociétaux.