Communiqué de Presse

Peut-on accepter de renvoyer des malades mourir dans leur pays d’origine ?

Le projet de loi immigration, intégration et nationalité aggrave, une nouvelle fois, le traitement fait aux étrangers, y compris aux étrangers gravement malades. Ce projet va d’abord durcir les conditions dans lesquelles les démarches d’admission au séjour pour raison de santé pourront s’effectuer. Il va également priver les étrangers gravement malades d’un délai suffisant pour saisir le juge qui annule pourtant aujourd’hui près d’une mesure d’éloignement sur deux prises à leur encontre.

Mais surtout l’article 17 ter du projet de loi voté en première lecture par l’Assemblée nationale remet directement en cause le droit au séjour des étrangers gravement malades vivant en France, aujourd’hui strictement encadré et déjà difficile à faire valoir.

La loi actuelle protégeant les étrangers gravement malades vivant en France est claire et mesurée

En 1997, la loi Debré a intégré dans la législation française la protection des étrangers gravement malades contre l’éloignement du territoire. L’année suivante, la loi Chevènement renforçait cette protection grâce à la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire. Ce droit au séjour est conditionné au fait que l’étranger, atteint d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité et vivant en France, “ne puisse effectivement bénéficier du traitement approprié dans son pays d’origine”.

L’esprit de la loi actuelle, interprétée à l’identique par circulaires ministérielles (voir notamment circulaire NOR/INT/D/98/00108/C du 12 mai 1998) et par le Conseil d’Etat (arrêts du 7 avril 2010), est donc de faire en sorte qu’un étranger gravement malade et sans accès effectif aux soins dans son pays d’origine soit protégé de l’expulsion et puisse avoir accès aux soins en France, dans des conditions de vie stable. Il s’agit d’éviter une mort prématurée ou la survenue de graves complications et/ou de handicaps dans un pays où il ne pourra pas être soigné.
Le dispositif actuel repose ainsi sur une législation claire et des strictes conditions d’obtention.
Comme le relève le Comité interministériel de contrôle de l’immigration (Cici) "le nombre d’étrangers qui se prévalent de leur état de santé pour être admis au séjour s’est stabilisé en 2008" autour de 28 000 personnes, représentant seulement 0,8% des étrangers vivant en France, avec "depuis 2004 une diminution significative du nombre d’étrangers malades" régularisés pour la première fois à ce titre (Rapport au Parlement, les orientations de la politique de l’immigration, Cici, décembre 2009, p.61).

La modification de la loi actuelle rompt avec les impératifs de continuité des soins et de santé publique

L’article 17 ter du projet de loi propose de transformer la condition de "non accès effectif au traitement approprié dans le pays d’origine de l’étranger" en seule "indisponibilité du traitement approprié". Contrairement à ce qui a pu être soutenu dans les débats à l’Assemblée nationale, une telle modification est loin d’être une précision purement sémantique : cela revient à supprimer le droit au séjour des étrangers gravement malades vivant en France.

Dans un courrier adressé à Nicolas Sarkozy le 22 septembre 2010 [1], le Conseil National du Sida a alerté "le gouvernement sur le caractère très préjudiciable de l’évolution législative envisagée, dont l’impact affecterait profondément le droit des personnes concernées mais également la santé publique et la maîtrise des dépenses de santé". Il a souligné que si l’interruption du traitement "conduit à terme à une issue fatale" (véritable peine de mort décidée pour des raisons administratives), elle risque aussi d’entraîner "le développement de souches virales résistantes qu’il y a tout lieu d’éviter, tant dans l’intérêt de la personne elle-même que d’un point de vue de santé publique dans le pays concerné".

En effet, la disponibilité d’un traitement dans un pays ne garantit en rien que la personne malade puisse y avoir effectivement accès. Comme le dit le Conseil National du Sida, "dans le cas de l’infection à VIH mais pour de nombreuses autres pathologies également, le problème n’est plus aujourd’hui celui de l’existence des traitements appropriés dans le pays d’origine mais uniquement celui de leur accessibilité". Pour vérifier qu’un malade puisse être effectivement soigné (et c’est pour cela que la notion de disponibilité ne correspond à rien), il faut prendre en compte le coût des traitements, l’existence ou non de couverture maladie permettant une prise en charge financière, l’état des structures sanitaires du pays, l’offre quantitative de soins et leur couverture territoriale, le manque de personnel médical, les ruptures fréquentes de stocks, etc.

Dans le même sens, la Société Française de Santé Publique rappelle dans son communiqué du 6 octobre [2] que "s’agissant d’infection par le VIH, si les traitements sont formellement disponibles dans tous les pays du monde, ils ne sont pas pour autant accessibles à toute la population", et s’alarme en considérant que si la loi actuelle est modifiée "c’est toute la politique de lutte contre le sida qui pourrait être remise en cause". Plusieurs centaines de médecins, toutes spécialités confondues, se sont d’ores et déjà également mobilisés pour la suppression de l’article 17 ter de ce projet de loi en considérant qu’il constituait "une régression lourde de conséquences pour les patients, pour la santé publique et pour les finances de l’Etat" [3].

La modification de la loi actuelle ouvre inévitablement la voie à des situations dramatiques

Refuser le droit au séjour à des étrangers gravement malades qui vivent en France, au motif que le traitement requis par leur état de santé est "disponible" dans leur pays d’origine (sans vérifier son accès effectif) conduirait vers deux situations toutes aussi dramatiques et prévisibles :

1. Certaines personnes repartiront ou seront renvoyées dans leur pays d’origine, malgré le risque d’une mort à plus ou moins brève échéance. La France devra alors assumer sa responsabilité à la fois directement, et plus globalement en matière de désengagement dans la lutte contre les pandémies, notamment l’infection à VIH, la tuberculose et les hépatites virales.

Monsieur V., ressortissant géorgien, séropositif à l’hépatite C, sous traitement, vit en France depuis trois ans et est pris en charge à l’hôpital. Monsieur V. est interpellé sur la voie publique, il est placé en rétention administrative. Si l’article 17 ter est voté, Monsieur V. sera renvoyé en Géorgie. Il ne pourra jamais s’y soigner car il ne pourra jamais payer le traitement de l’hépatite et n’aura aucune continuité des soins. Son état de santé se dégradera extrêmement rapidement avec risque prévisible de cancer du foie.

2. D’autres personnes resteront en France en situation de très grande précarité, dépendantes des aides caritatives, sans possibilité d’autonomie professionnelle, dans une situation d’insécurité administrative préjudiciable à un suivi médical de qualité. L’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans leur récent rapport de novembre 2010 sur l’Aide médicale d’Etat constatent déjà que des étrangers gravement malades qui auraient du relever du dispositif « étranger malade » (et donc de l’assurance maladie) relèvent à tort du dispositif de l’Aide médicale d’Etat (augmentant ainsi les dépenses de l’aide médicale d’Etat) [4]. Le non-recours aux soins et la prise en charge tardive auront pour conséquences des complications et surcoûts hospitaliers, en contradiction totale avec les programmes et objectifs de santé publique pour la prévention et le dépistage précoce en matière de VIH, des hépatites, des cancers, des diabètes, etc.

Madame N, ressortissante congolaise, diabétique insulinodépendante, risque de perdre la vue. Elle vit en France depuis 8 ans avec ses deux enfants mineurs scolarisés. Elle est titulaire de cartes de séjour temporaires depuis 5 ans et travaille en CDI. Si l’article 17 ter est voté, le renouvellement de sa carte de séjour temporaire sera refusé, au motif que le traitement par insuline par voie sous-cutanée est disponible à Brazzaville. Cependant, il est notoire que l’offre de soins et le suivi médical y sont très largement inaccessibles pour la grande majorité de la population. Madame N. passera de l’assurance maladie à l’Aide Médicale d’Etat, perdra son emploi et n’aura plus les moyens ni de payer son loyer, ni de subvenir aux besoins de sa famille.

La modification de la loi actuelle repose sur des arguments contradictoires ajoutant de la confusion

Changer la loi apparaîtrait nécessaire pour la « clarifier » ? Il n’en est rien. Après douze ans d’application de la loi, les circulaires à destination des autorités préfectorales et médicales, et la jurisprudence sont aujourd’hui concordantes et conformes à la volonté du législateur de prendre en compte les possibilités réelles d’accès aux soins. L’introduction d’une nouvelle notion aussi peu objective que celle "d’indisponibilité" ne pourra qu’être source de nouvelles confusions et de disparités d’application. En effet, si selon le gouvernement, remplacer accès effectif par disponibilité est censé "ne rien changer", les députés qui ont voté ce changement en ont d’ores et déjà des interprétations divergentes, tout en estimant la notion de disponibilité "peu éclairante".

Rappelons que l’ONU [5] utilise aussi le concept d’accessibilité, en particulier pour les populations les plus vulnérables, et précise que cette accessibilité doit être tant physique qu’économique.

Modifier la loi serait indispensable pour "maîtriser" l’application du dispositif ? Il est choquant d’entendre dire que le dispositif actuel "ouvre un droit au séjour potentiel à tout étranger ressortissant d’un pays ne bénéficiant pas d’un système d’assurance sociale comparable au nôtre". Douze ans d’application du dispositif voté par le Parlement dans des termes clairs et équilibrés démontrent que la loi actuelle ne protège que les étrangers gravement malades installés en France et que la migration pour raison médicale demeure une exception. Comme le démontrent toutes les données recueillies, plus de 90% des personnes concernées ont ainsi découvert leur maladie à l’occasion d’un examen médical pratiqué en France alors qu’ils y résidaient déjà et n’avaient pas connaissance de leur pathologie en quittant leur pays d’origine (voir les rapports de l’InVS [6], de l’Inserm [7], du Comede [8], de l’Observatoire européen de l’accès aux soins de Médecins du Monde [9],et l’enquête ANRS Vespa [10]).

Refuser le droit au séjour aux étrangers gravement malades ne pouvant accéder aux soins dans leur pays d’origine renforce la clandestinité, aggrave le non recours aux soins, nuit aux actions de prévention et retarde la prise en charge médicale. Les impératifs financiers (traitement précoce moins coûteux qu’à des stades avancés) et la protection de la santé des populations en France conduisent logiquement à rejeter tout recul dans la protection des étrangers atteints d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité.

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